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Pierre et Gilles

Pierre et Gilles Ce couple d’artistes, qui vivent et travaillent ensemble depuis 1976, s’est, au fil des dernières décennies, construit, approprié et façonné sur la scène artistique une place à part, une niche spécifique, abolissant les frontières arbitraires et archaïques entre genres, thèmes et sources iconographiques. Un style très particulier devenu très "mode".

Après le succès retentissant de leurs expositions monographiques de Paris (Maison Européenne de la
photographie), Glasgow (Museum of Modern Art), Tokyo (Ginza Art Space), Turku (Turun Taide Museum), New York (New Museum of Contemporary Art), San Francisco (Yerba Buena Arts Center for the Arts) et plus récemment à Vienne (Kunsthaus Wien), c’est au Botanique qu’a été présentée, pour la première fois en Belgique, une rétrospective inédite de leur travail.

Une sélection d’œuvres inédites ou méconnues ont été présentées aux côtés de réalisations très célèbres et, en avant-première, de quelques-unes de leurs créations les plus récentes (2002). Un album embrassant l’ensemble de leur production et retraçant son évolution depuis 1976, a été réalisé à l’occasion de l’exposition.

Reconnaissable d’emblée, leur œuvre est unique à plus d’un titre. Sa singularité repose d’abord sur la spécificité d’un processus créatif, adoptant un dispositif à la fois manuel et mécanique, complexe et toujours soigneusement pensé. Avec une complémentarité rarement atteinte dans un duo d’artistes, Pierre et Gilles (inter)agissent à chaque étape de la conception et de la réalisation de leurs oeuvres.

Une technique originale

Commençant par réaliser des dessins préparatoires, ils conçoivent ensuite la mise en scène théâtrale de leur décor au gré d’objets et accessoires chinés ou spécialement fabriqués pour l’occasion. Pierre photographie alors la scène, en un unique tirage que, loin de toute manipulation digitale, Gilles retravaille ensuite par couches successives de glacis et de couches picturales, au pinceau et à l’aérographe, mutilant ainsi la possibilité de reproductibilité à l’infini de l’œuvre photographique. S’impose enfin le choix et la conception d’un encadrement spécifique, prolongement essentiel de la photographie peinte.

De cette intime imbrication des techniques photographique et picturale, leur permettant véritablement de s’exprimer l’un avec l’autre, jaillit une œuvre unique, hybride et syncrétique, abolissant les oppositions traditionnelles entre supports d’expression artistiques. Se dépouillant d’une partie de ses vertus de représentation mimétique, la photographie gagne en idéalisation, assumant les qualités affectives et sensorielles de la peinture, tandis que cette dernière tend vers un surcroît de vérité objective.

Mais ce syncrétisme trouve également sa transposition dans la façon remarquable dont Pierre et Gilles, en véritables iconophages, brassent et s’approprient une multitude de genres (du portrait à l’imagerie religieuse en passant par l’affiche publicitaire) et de thématiques, au croisement de traditions et de sources iconographiques diverses.

Le profane et le sacré, le banal, l’anodin et le consacré se côtoient dans un univers féerique, nourri de rencontres et de voyages, de souvenirs et de rêves et exaltant le regard étonné et admiratif de l’enfant qui se tapit au fond de tout un chacun.

Qu’il s’agisse de célébrités (Lio, Nina Hagen, Serge Gainsboug, Etienne Daho, Arielle Dombasle …) ou d’inconnus, le modèle, souvent abordé dans une frontalité iconique, se retrouve au centre du dispositif de Pierre et Gilles.
Métamorphosé en saint, voyou, marin, divinité ou encore en héros romanesque, il s’intègre à un univers bigarré où références à la publicité, à l’imagerie télévisuelle, à la tradition picturale, à la mythologie classique, à l’iconographie chrétienne se nourrissent l’une l’autre.

Flirtant délibérément, mais en les dépassant, avec l’imagerie "pop", l’univers de la mode et du "glamour", l’œuvre de Pierre et Gilles fait fi des distinctions traditionnelles entre Beau et Laid, Bien et Mal, culture populaire et tradition classique. Il en résulte une œuvre résolument originale et personnelle, dont le but ultime tend toujours à la recréation d’un idéal iconique et affectif.

Dans cette résolution de tout antagonisme dialectique, Pierre et Gilles opèrent donc un travail déstabilisant et subversif, sapant les hiérarchies et catégorisations convenues et mettant au défi les normes de bienséance, qu’elles soient esthétiques ou moralisatrices.

Reflet intime de leur façon de vivre, leur art livre sans doute la clef de sa popularité dans cette authenticité et cette faculté qu’il a d’exprimer l’ambivalence de notre réalité et de l’univers mental bigarré, mélangé de notre société contemporaine.

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